Personnalité: l’analyse des critères de l’identité [FR]
A la mémoire de M. le Professeur Bohdan Suchodolski (1903–1992)
1. Introduction
Dans la plupart des cas l’analyse de l’identité personnelle fait envisager l’examen des problèmes de l’intégration et de la désintégration. Dans les ana- lyses traditionnelles seul le critère de l’intégration est considéré comme ca- pable de décrire l’identité de la personne humaine, tandis que la catégorie op- posée – la désintégration – correspond aux états de désidentité.
Dans cette analyse orientée de façon dynamique je vais quitter le terrain des traditions analytiques et cela pour accentuer la catégorie du dévelop- pement qui est fondamentale pour la description de la vie humaine. J’essaierai de vérifier le sens de la théorie de le désintégration positive de Kazimierz Dąbrowski (1902–1980), psychiatre et philosophe polonais, et d’autres thé- ories relatives au développement et à la crise de la personnalité (par exemple Carl G. Jung – théorie de l’individuation, Eric Erikson – théorie des crises de la personnalité etc.).
2. Personnalité comme «structura praestabilita»
Les théories de la personnalité – et la philosophie de l’homme orientée de façon structuraliste, mécaniste et positiviste – identifient les divers niveaux psychiques de la personne à l’aide des critères de l’intégration (à la façon de «harmonia praestabilita» de G. W. Leibniz). L’état de l’intégration semble déterminer le mieux et de la façon la plus claire l’identité de l’homme comme d’un être à tous les niveaux. De plus, à la notion de l’intégration corres- pondent les catégories telles que stabilité, constance, durabilité, unité, pléni- tude, etc. On rattache à cette identité normative une autre catégorie, celle de santé mentale. Ainsi les phénomènes de désintégration, destruction ou dyshar- monie témoignent des troubles mentaux, voire de la maladie mentale. Par la suite ce modèle de la santé mentale est transposé sur le terrain des problèmes de l’identité et il rend impossible l’analyse de l’identité telle qu’elle apparaît au cours du drame de développement de l’homme. Ainsi ce drame ne peut plus être compris par les notions qui décrivent la personnalité dans la per- spective fonctionnelle.
3. Personnalité comme «structura instabilita»
L’analyse du phénomène de développement révèle que nous avons affaire non seulement aux processus de renforcement et d’intensification des phénomènes bio–socio–psychiques mais aussi aux processus contraires: l’affaiblis- sement des fonctions et leur partielle ou même complète destruction. Ce ne sont pas des processus linéaires (modèle physique) mais des processus multi- dimensionels: cyclique (modèle biologique) et liés à la transformation exté- rieure (modèle sociologique) ou à la transformation intérieure (modèle psy- chique). La personne humaine est le sujet des processus d’évolution et de dis- solution. Elle est impliquée dans ces processus aussi bien au niveau de la con- science et de la sur–conscience qu’au niveau de l’inconscience et de la sub- conscience (par exemple Edouard von Hartmann, Pierre Janet, Sigmund Freud, Carl G. Jung).
4. Personnalité comme «structura contradicta»
Dans mon étude je préfère me servir d’outils de l’analyse métafonction- nelle et plus spécialement de l’analyse onto–axiologique. Elle découvre en l’analyse fonctionnelle des questions d’auto–nomie extérieure et intérieure de l’homme en train de développer sa personnalité. L’analyse fonctionnelle ma- nifeste la contradiction du développement (qui s’exprime par exemple par les processus de l’évolution et de la dissolution – John Hughlings Jackson, Jan Mazurkiewicz). L’analyse métafonctionnelle permet de dépasser ces contra- dictions, parce qu’elle prend en considération les catégories d’intégration et de désintégration et aussi parce qu’elle les envisage comme les moments de l’identité personnelle qui doivent se manifester au cours du développement de la personnalité.
Dans la théorie de la désintégration positive, K. Dąbrowski distingue la notion d’intégration première (partielle) et celle d’intégration secondaire (in- tégrale). De même faudrait–il introduire la catégorie de la désintégration pre- mière. Elle comprendrait les processus qui suscitent des transformations psy- chiques liées aux cycles de développement bio–socio–psychique. C’est dans le processus de la désintégration que l’on inscrirait l’intégration secondaire qui dépend des conditions personnelles, autonomes et intérieures. Ce type de désintégration fait distinguer l’individu parmi d’autres personnes, lui donne sa marque spécifique de développement. Cette distinction implique que l’indi- vidu devient une personne et que la personne dépasse les normes statistiques et culturelles de développement ainsi que les limites imposées par ces normes.
La perspective statistique de l’analyse du développement qui caractérise l’approche structuraliste, mécaniste ou scientiste constitue un filtre qui rend difficile l’analyse d’identité et de désidentité de la personnalité en dévelop- pement. Les critères statistiques écartent les phénomènes atypiques, de limite et exceptionnels. Les phénomènes sociaux ou psychiques atypiques sont ainsi traités par analogie avec les phénomènes biologiques atypiques et définis comme bio–patologiques. On observe une pareille déformation de l’image du développement lorsque les phénomènes psychiques sont examinés du point de vue sociologique. Il disparaît dans ces phénomènes absolument tout ce qui est exceptionnel et unique dans l’individu, c’est–à–dire toute la sphère de l’auto- nomie, de l’authenticité, de la liberté, de l’amour et de la créativité. Ce genre d’observation et de description des phénomènes bio–socio–psychiques peut être donc qualifié de régressif. Dans de telles descriptions, les phénomènes supérieurs sont identifiés comme des phénomènes inférieurs ou encore ils sont identifiés à l’aide de ces phénomènes inférieurs. Ma proposition va dans le sens opposé: décrire et valoriser les phénomènes inférieurs en relation avec les phénomènes supérieurs: il s’agit d’une méthode progressive qui s’inscrirait dans une option évolutionniste (ou néoévolutionniste).
La méthode régressive n’offre pas de possibilité d’identifier les phéno- mènes psychiques autrement qu’en les mettant en relation avec les phéno- mènes biologiques ou sociologiques. Nous avons ici affaire à l’altération du critère principal d’identification. Par exemple la norme d’identification pourra devenir le critère biologique et son corrélat sera de caractère social, une autre fois la norme d’identification sera le critère sociologique et son corrélat sera de caractère biologique. Il est possible d’établir des combinaisons semblables en construisant des critères d’identification grâce aux phénomènes psycholo- giques. Nous aurions à ce moment affaire à la psychologisation de critères d’identité personnelle.
Beaucoup de chercheurs d’orientation holistique s’efforcent d’éviter les complications fonctionnelles et traitent séparément les divers critères. Pour- tant cela ne donne pas la possilibité de construire une image scientifique de la personne humaine. Dans le modèle scientifique, le critère d’identification est une catégorie de personnalité et cette catégorie est comprise comme reintégra- tion de toutes les forces, actions, fonctions et structures de l’individu à ses niveaux biotiques, sociotiques et psychiques. Cette intégration s’accomplit horizontalement et verticalement. Ce qui est intégré en premier ce sont les im- pulsions, actions, fonctions et structures maintenant l’individu comme orga- nisme biologique, individu social et unité psychique. Ils sont concretisés dans la superstructure nommée personnalité. Ensuite ce sont ces impulsions, actions, fonctions et structures qui dépassent les standards horizontaux vers les méta–standards verticaux intégrés par la personnalité. L’intégration verti- cale assure le caractère non–instrumental et non–limité du développement personnel. L’intégration horizontale, au contraire, assure dans ce dévelop- pement le caractère limité et instrumental. Par exemple, dans le premier type de l’intégration, le conflit extérieur se transforme en conflit intérieur, dans le second le conflit intérieur se transforme en conflit extérieur. Les différentes dispositions (verticalité – horizontalité) décident de la forme d’intégration et permettent de distinguer les divers types du développement personnel.
La tension des fonctions psychiques s’intensifie lorsque le processus de désintégration s’active. Par exemple il est possible d’observer l’intégration psychique lorsque la structure biologique de l’homme se désintègre ou d’ob- server l’intégration sociotique dans le processus de la désintégration psy- chique, etc. Ces phénomènes intégrés ou désintégrés et orientés vers le haut peuvent être appelés intégration positive ou désintégration positive. En re- vanche, les processus d’intégration et désintégration orientés vers le bas se- ront appelés intégration négative et désintégration négative. Cette distinction entre intégration positive et intégration négative permet de mieux définir le phénomène d’identité personnelle. L’homme ne perd pas son identité par rap- port à l’intégration fonctionnelle, même dans le cas de la désintégration néga- tive, pourvu que la capacité à conserver son autonomie ne soit pas atteinte.
5. Personnalité comme «structura coordinativa»
La question suivante se pose: dans quelles conditions la structure d’auto- nomie personnelle n’est–elle pas menacée? La réponse ne rélève pas de l’in- tégration du type fonctionnel parce que dans ce type d’intégration sont éli- minés les critères tels que: bien–être, efficacité, plaisir et bonheur, habilité et force, santé comprise comme absence de maladie, adaptation comprise comme renoncement à l’autonomie, etc. Le critère limite de l’identité est donc constitué par la capacité à reconnaitre sa propre existence comme sienne et non comme étrangère (extérieure). Il est nécessaire de soutenir la capacité à identifier son corps, ses pensées, ses vécus, ses perceptions comme siens.
Les dynamismes qui assurent l’autonomie personnelle sont: corps, mou- vement, penser, imagination, volonté, mémoire et sentiments, estimation et action. Ces critères constituent le champ d’identité du moi personnel qui s’identifie comme «structura coordinativa» en–soi et pour–soi. D’autre part chaque critère peut être de son côté un critère d’identité fonctionnelle.
6. Personnalité comme «structura autonomica»
La structure du moi personnel est une structure de dynamismes d’identité de la personne qui se développe. Cette structure fonde aussi la personnalité et rend possible l’existence autonomique en face, dans et en dehors des com- muautés. C’est une personnalité protégée contre les processus de désauto- nomie et de dépersonnalisation dans les situations de la pression exercée par le milieu dans lequel elle vit. L’individu est capable de distancer l’horizon de son être en se dirigeant vers les niveaux supérieurs par rapport à lui–même.
Le principal critère fonctionnel d’identité est la capacité d’auto–réalisa- tion. C’est en même temps, si l’on peut dire, le principal dynamisme de la per- sonne qui rend possible son (auto–)détermination comme moi (ego, self). Sur la base de ce dynamisme sont fondées d’autres formes de l’identité telles que: auto–conscience, auto–élection, auto–confirmation, auto–estimation qui sont des phénomènes spécifiques d’auto–réalisation.
L’idée d’auto–réalisation peut être comprise comme forme de l’auto–édu- cation. Mais selon moi l’auto–réalisation est plus qu’une simple dynamisation fonctionnelle du moi concret, de ses fonctions ou structures. L’auto–réali- sation est une réalisation du moi non seulement en–soi mais aussi pour–soi. J’entends: en dehors du moi comme l’auto–transcendance vers les niveaux et les valeurs qui possèdent le sens constructif pour l’auto–réalisation. L’auto–réalisation qui confirme la personne au plan immanent et au plan transcendant n’est pas possible lorsque la capacité à l’auto–estimation n’est pas réalisée.
L’interaction entre les différents dynamismes et les niveaux psychiques personnels peut être décrite comme relation de l’organisme humain adhérent aux structures biologique, sociale et psychique. Aussi bien la structure sociale (au sens plus large: l’environnement extérieur) que la structure psychique (au sens plus large: l’environnement intérieur) constituent un problème à résoudre pour l’organisme biologique. La structure biologique de l’homme doit vaincre de nombreuses difficultés avant que l’homme ne sache exister indépendam- ment de toute aide sociale et grâce à ses propres possibilités et à ses tendances psychiques. La structure d’auto–dépendance de son propre psychisme est un des plus importants critères fonctionnels d’identité sans lequel on ne pourrait imaginer la construction de la structure d’identité personnelle. Il est souvent pris comme critère normatif et c’est lui qui permet le mieux de décrire le phé- nomène de la liberté, de la création et de l’autonomie humaine.
7. Personnalité comme «structura transitiva»
Je considère le développement comme principe ontologique de construc- tion de la personnalité de l’homme qui participe aux expériences–limites (Grenzsituationen de Karl Jaspers) et aux expériences–du–sommet (peak experience de Abraham Maslow) qui par les sciences positives sont traitées comme marginales dans la vie de l’homme. Du point de vue de la psychiatrie et de la psychologie existentielles et phénoménologiques ces phénomènes ne sont pas pour autant marginaux mais centraux pour le développement de la personnalité et pour la constitution de l’identification personnelle.
Les standards observés comme centraux dans les théories contemporaines de personnalité sont les suivants: durée, stabilité, intégration etc. Ils consti- tuent les normes d’identité statistique et sont donc valables pour le groupe sans l’être pour l’individu et la personne. C’est seulement dans cette perspec- tive que la thèse du structuralisme (C. Lévi–Strauss, J. Lacan) l’homme ne parle pas, mais il est parlé est justifiée. Mais ce qui est justifié n’est pas toujours vrai au plus haut degré. En dehors des méthodes structuralistes il existe un homme singulier, la personne qui peut et qui veut parler pour elle avec sa propre voix. Dans d’autres cas ce sont les situations–limites qui parlent pour elle: sa souffrance, sa maladie, sa solitude et sa mort.
8. Personnalité comme «structura dramatica»
La psychiatrie et la psychologie phénoménologiques utilisent le concept de désidentification (le fait d’être autre). Mais les partisans de ces conceptions lient la désidentification à la maladie mentale. Leurs nobles intentions se transforment en conséquences négatives pour la conception de l’homme. Ainsi la compréhension positive (jusqu’alors) de ce qui est autre, obtient une signification négative, par exemple lorsque l’on re–définit la maladie et les troubles psychiques comme tendances à être autre. D’après moi la faute con- siste à faire manipuler les concepts sans vouloir analyser le côté positif du phénomène de désidentification, désintégration ou dissemblance. Ce type d’analyse doit mener à une nouvelle conception d’identité personnelle.
La définition qui fait comprendre les phénomènes limites (individuels et exceptionnels: solitude, souffrance, maladie, mort, mais aussi amour, amitié, empathie, liberté etc.) pourrait s’exprimer ainsi: l’identité c’est la désidentifi- cation (être autre). Pour différencier une personne d’une autre on ne peut pas identifier le même avec le commun, mais en revanche il faut chercher ces données qui lui sont radicalement propres. L’identité personnelle ne devrait pas être réduite uniquement et unilatéralement par rapport aux autres, mais elle devrait être définie surtout par rapport à elle–même (moi personnel). La définition corrélative ne peut donc pas être appliquée trop étroitement parce que la personne humaine n’est pas seulement le corrélat du temps et de l’es- pace cosmique ou historique et de l’espace biologique, sociologique ou psychique. En réalité elle transforme ces dimensions de la vie dans le temps et dans l’espace personnels qui font distinguer son être des autres formes de l’existence.
La transformation de la personne s’accomplit au cours des processus de régression et d’agression, d’inhibition et d’exhibition, d’introversion et d’ex- traversion, d’intériorisation et d’extériorisation, c’est–à–dire d’immanentisa- tion et de transcendisation. La transformation comme processus évolutif ou reévolutif des uns dans les autres constitue le problème–clef souvent omis dans les analyses d’identité. La capacité à la transformation peut être considé- rée comme élément fondamental de l’identité personnelle, elle–même définie comme capacité à être autre. Cette capacité comprend tous les dynamismes de transformation extra– et intro–psychique, extra– et intro–sociotique, extra– et intro–biotique. Ces dynamismes se manifestent comme dynamismes de la transformation personnelle.
9. Personnalité comme «structura stratifica»
La capacité à être autre dans le vaste espace de ce qui est identique de- vient donc le critère de l’identité personnelle. Ce critère admet, sans pour au- tant les éliminer, les phénomènes de limite, de périphérie et d’extrême d’une manière équilibrée et symétrique par rapport aux phénomènes qui dominent du point de vue statistique. L’argument fonctionnel en faveur de l’approche statistique peut être répresenté comme analyse du psychisme et analyse hié- rarchique du développement personnel qui envisagerait l’existence d’une structure étendue à plusieurs niveaux psychiques de la personne.
Le modèle stratifié, c’est–à–dire le modèle multidimensionnel de la per- sonnalité (à plusieurs niveaux psychiques, cf. N. Hartmann, K. Dąbrowski, S. Freud, C. G. Jung) permet de saisir les phases de transformation psychique, des phénomènes dynamiques et statistiques. Les phases de transformation se suivent d’après la séquence temporaire et les actions psychiques sont aussi identifiées selon les mêmes séquences. Ces actions mènent à la structuralisa- tion psychique de caractère évolutif (les transformations vers le haut) ou de caractère dissolutif (les transformations vers le bas). L’un des phénomènes le plus caractéristique et le plus évident de la phase de la transformation est le conflit intérieur ou le conflit extérieur. Ces conflits signalent la dynamique et le type de la transformation qui ont lieu dans la structure personnelle, c’est–à–dire en réalité dans l’homme, dans son entière totalité.
La phase de transformation peut durer peu de temps ou quelques années. Il est donc essentiel dans l’examen de différencier des transformations intra– ou extrapsychiques des troubles de longues séquences temporaires et de longues séquences de stabilisation psychique qui leur ressemblent. Si l’on néglige cette différentiation les tendances les plus faibles et celles qui ne sont pas cristalisées ou les tendances qui ne sont pas suffisamment susceptibles d’être transformées seront soumises à l’auto–réalisation régressive (pour ex- primer cela autrement on pourrait parler de la réalisation autoregressive) qui stabilisera la structure psychique aux niveaux déjà intégrés ou aux niveaux plus bas. Ainsi on peut en réalité obtenir l’effet d’abaissement, l’effet de la réduction des tendances transformatives, mais ce faisant on commettrait une ingérence illégitime et meurtrière pour la personne dans son milieu intérieur. On règlerait sa structure psychique au niveau du standard statistique de l’in- tégration psychicologique. D’autre part il est possible d’envisager une auto–réalisation transgressive qui stimule le développement et la progression psy- chique par le renforcement des tendances transformatives vers le haut. Cette auto–réalisation transgressive peut aussi s’accomplir par le relèvement des processus régressifs. Ce genre d’auto–réalisation peut être nommé auto–ré- alisation au moyen de développement (processus d’intégration et de désinté- gration positive). Une telle auto–réalisation consiste en l’activation de ce qui se trouve étouffé, bloqué dans la personne, mais contient les tendances au développement. Ce sont généralement des tendances transgressives, créatives et libératrices.
L’approche statique de l’analyse de l’identité définit la tendance au déve- loppement comme nuisible pour le statu quo psychique de la personne. Cette nuisibilité est appelée état névrotique, névrose ou psychonévrose. D’ordinaire, cela correspond à des états ou à des formes de désidentification personnelle. Mais dans la conception de K. Dąbrowski de l’auto–réalisation par la névrose, elle désintègre les structures psychiques qui bloquent les tendances au déve- loppement personnel et elle accélère ainsi ce développement.
L’acceptation des processus de désintégration et d’intégration comme égaux de droit dans l’analyse d’identité de l’homme permet d’énoncer une thèse beaucoup plus radicale: l’intégration à elle seule n’est ni positive ni né- gative et il en va de même pour la désintégration. L’une est la condition sine qua non de l’autre. Ce qui est positif c’est le développement qui synthétise et transforme aussi bien les processus d’intégration que les processus de désinté- gration. Dans cette perspective la conception de la désintégration positive n’est rien d’autre qu’une métaphore du développement personnel.
En conséquence, il est nécessaire de rechercher s’il existe des champs d’identité qui ne seraient pas compris dans cette notion. Comment com- prendre la déstabilisation, la régression, la dissolution ou l’involution? Est–ce que ce sont uniquement des signes de la non–identité personnelle? Dans ces conditions il est nécessaire de poser la question quant à l’identité de la mala- die mentale (psychique) et physique par rapport au développement personnel.
10. Personnalité comme «structura ontologica»
Le développement n’est pas seulement la transformation des structures psychiques mais aussi la transgression ou la transcendance du niveau de l’existence. Les troubles, les souffrances, la solitude et la maladie ou même la mort s’avéreraient dans cette conception comme une autre forme d’identité. A ces niveaux l’analyse de l’identité personnelle n’est pas possible sans la philo- sophie existentielle (S. Kierkegaard, J. P. Sartre, A. Camus, K. Jaspers etc.). Or, on ne peut pas l’effectuer s’étant limité à des expériences scientifiques de la biologie, de la sociologie, de la psychologie ou de la philosophie scien- tifique, bref à des sciences d’orientation physique. L’étude de l’identité aux niveaux supérieurs de l’existence humaine exige l’analyse métaphysique.
Envisageons la question de la maladie mentale comme métaphore des processus régressifs, dissolutifs ou involutifs, c’est–à–dire des procussus de désintégration partielle ou processus d’intégration partielle. La personne ex- posée à ces processus éprouve la déprivation et l’abaissement de son statut existentiel et essentiel, base de la personnalité de l’homme. L’identité de la maladie mentale possède une valeur fonctionnelle lorsqu’elle est analysée dans la totalité matérielle. A ce moment elle obtient le sens négatif. En re- vanche l’analyse métafonctionnelle permet de saisir le sens positif de la mala- die mentale et de la maladie en général. Sur le plan ontologique le sens de la maladie n’est positif que lorsqu’elle est intégrée par le développement. L’ac- ceptation d’un autre principe ontologique détruit le sens de la maladie, le sens de la vie et le sens de l’existence. L’identité de la personne humaine trouve donc sa confirmation dans les phénomènes positifs et négatifs de la maladie mentale ou physique. J’omets ici le sens positif, transformatif de le maladie comme processus de l’évolution de l’identité (le plan ontologique), en essa- yant de comprendre son importance pour l’homme (le plan axiologique).
11. Personnalité comme «structura axiologica»
Le problème de ces processus et phénomènes négatifs oblige à compléter l’analyse de l’identité personnelle par les dynamises axiologiques. Sans cela l’identité personnelle dans sa plénitude ne pourrait être saisie. Si nous ajou- tons à l’analyse de ces phénomènes le critère ontologique ou axiologique, il sera plus clair que les phénomènes aussi bien négatifs que positifs peuvent devenir la concrétisation de cette identité. Il est évident que dans certains domaines la personne en état de maladie se renferme pour elle–même et pour les autres et dans d’autres formes ou stades elle s’ouvre pour elle et pour les autres. De plus, cette fermeture ou ouverture est un signal spécial d’identité personnelle. Dans la maladie somatique (biologique) la personne devrait être acceptée par et dans la structure sociale et psychique. Et quand elle ne trouve pas de pleine confirmation dans la structure sociale, elle doit être surtout con- firmée dans la structure biologique et psychique. Enfin, si la structure psy- chique est troublée, la personne devrait alors pouvoir trouver sa confirmation dans sa structure biologique et sociologique, etc. Ces variations de forme in- tégrée et désintégrée de manière fonctionnelle dans son identité peuvent être plus nombreuses.
12. Personnalité comme «structura memorativa»
On peut considérer avec stupeur que les normes apersonnelles sont utili- sées pour les actions personnelles dans l’examen de la maladie ou de la santé, de l’intégration ou de la désintégration. La science qui a perdu le critère onto- logique de l’identité en faveur de critères fonctionnels dépersonnalise la per- sonne, lui arrache son identité en appliquant une option de biologisation, de sociologisation ou de psychologisation. L’image mécaniste de l’homme a son antinomie au niveau non–fonctionnel, non–instrumental, non–déterminé.
Le dépassement de ces tendances créatrices d’antinomies dans l’analyse de l’homme est représenté par une attitude personnaliste. Le moi de la per- sonne est alors considéré comme sujet de ses émotions, vécus, pensées et actes. Dans la conception selon laquelle la personne est un sujet, elle est aussi le sujet de sa propre maladie, de sa souffrance et de sa mort et non leur victime (l’objet). La personne comme sujet–objet–en soi et pour–soi est aussi le sujet et l’objet de processus de l’intégration et de la désintégration. Cela signi- fie que elle y est non seulement soumise mais qu’elle peut aussi les dépasser et exercer l’influence sur ces processus par le fait de retenir son identité et son intégralité dans les actes d’auto–axiologisation et d’auto–transcendance.
Ces actes peuvent être compris comme la manière de se confirmer dans les processus de la vie. C’est un acte de se distinguer du flux de la désintégra- tion et c’est aussi un acte d’être soi–même dans ce qui n’est pas moi mais par ce qui est constitué par ce moi. La désintégration est alors un processus de la constitution de moi de la personne aussi bien que l’intégration qui consolide cette constitution.
Le modèle de la consolidation de son moi dans le contexte de ce qui rejeté par le moi est, au sein de la personnalité, sa mémoire. Elle possède deux di- mensions: générique et individuelle, cosmique et émotionnelle. Celui qui a perdu la mémoire a l’impression de perdre son identité bien qu’il reste iden- tique à lui–même dans d’autres dimensions, d’autres niveaux et dans d’autres structures personnelles. La perte d’une séquence du passé, du présent ou de l’avenir de ses vécus immobilise l’homme et met en danger son existence. Mais malgré cela l’homme existe, transcende sa présence dans un autre mode auquel il a accès, qui le rend lui–même et où il ne perd pas son identité de ma- nière complète.
L’homme peut rechercher l’identité en dehors de la mémoire, contre elle, au–dessus d’elle ou au–dessous d’elle. Evidemment, dans ces cas il s’agit de la mémoire fonctionnelle. Les hommes qui accomplissent leur auto–réalisa- tion par l’auto–transcendance gardent le souvenir de leurs visions, ressentent la désidentification et la mettent en relation avec l’image d’eux–mêmes. Et quand ils reviennent dans la forme standard, cette image s’accorde avec leurs vécus et perceptions standard de l’espace et du temps de la réalité. Ces faits attestent qu’il faut parler de l’espace et du temps psychiques conçus d’une autre façon et que ces formes ne sont pas réductibles aux dimensions de l’es- pace et du temps du monde qui est conçu de manière physique.
L’analyse de la mémoire individuelle (émotionnelle) fournit pour ces ex- périences insaissisables et plutôt immaterielles une certaine analogie maté- rielle (C. Lévi–Strauss, S. Freud, C. G. Jung, K. Dąbrowski etc.). Cette mé- moire se constitue avec les premières impulsions du monde perçues par l’homme à la naissance, et même déjà dans le ventre de sa mère. L’enfant hérite la mémoire de ses parents et de son environnement qui s’inscrit dans une longue suite de mémoire générique. Cet aspect de la mémoire a été ana- lysé par Platon et par les platoniciens, par Plotin et C. G. Jung, en particulier dans leurs conceptions de mémoire collective et mémoire individuelle.
La transgression d’archétype (collectif ou individuel) est associée aux processus de l’intégration de la personne, à l’héritage du passé, à la culture du monde et à ses symboles. L’arrachement de cette norme héréditaire est dange- reux pour l’individu, il le menace de troubles intérieurs et extérieurs. Celui qui s’y décide souffre, tombe malade et meurt. Quelqu’un qui est incapable d’individuation s’anéantit lui–même. Les archétypes sont des gardiens d’iden- tité présents dans le psychisme et dans tout homme. L’homme ne peut s’en priver sous peine de perte de son identité.
Et pourtant, bien que Jung indique ses archétypes comme formes de stan- dard d’identité et qu’il essaie de protéger l’homme de la désintégration et de l’aliénation, beaucoup de personnes sont condamnées à emprunter le chemin de culpabilité et de péché, le chemin de déviation et de suicide. Pourquoi? Il semble que le processus d’individuation dont la tâche est l’intégration n’est pas possible sans la désintégration.
Conclusion
La présente analyse qui conçoit l’intégration et la désintégration à la lu- mière du développement permet de valoriser positivement les processus de débiologisation, désocialisation, dépsychologisation. Ainsi il est possible de construire le critère métafonctionnel. C’est la disposition à transcender dans la vie tous ces états de crise qui possèdent le caractère existentiel, qui libèrent et forment les potentiels du développement personnel. Un tel processus pourrait être appelé l’essentialisation de la personne. La personne se concretise et se synthétise dans la personnalité qui comprend toutes les dispositions fonction- nelles de l’homme (bio–socio–psychiques) et finalement se constitue comme intégralité métafonctionnelle.
La personnalité comme norme d’identité essentielle devient alors l’épa- nouissement du plan existentiel de l’individu. La personnalité dans son identité est un but du développement réalisé dans le processus de transforma- tion intérieure et extérieure. Pour l’atteindre l’homme doit procéder simulta- nément vers deux directions opposées: vers l’intégration et vers la désintégra- tion. Chacun de ces chemins est une expérience importante pour l’homme d’identité immanente et transcendante. Tous les troubles d’identité humaine possèdent donc non seulement le caractère immanent mais aussi transcendant, non seulement négatif mais aussi positif.
Bibliographie de Kazimierz Dąbrowski (titres parus en langue française)
1. Les conditions psychologiques de suicide, Imprimerie du Commerce, Ge- nève 1929
2. L’Institut d’Hygiène Mentale de Varsovie et son programme de travail in: Bulletin Mensuel de l’Office International d’Hygiène Publique 28, 2/ 1936, pp. 127–131
3. La santé mentale, la définition et délimitation des domaines in: Comptes Rendus du IIe Congrès International d’Hygiène Mentale, Paris 1937
4. La désintégration mentale comme facteur positif dans le developpment émotionnel de l’enfant in: A Crianca Portuguesa 17, 1958, pp. 731–736
5. Sur la désintégration positive in: Annales Médico–Psychologiques 117, 2/ 1959, pp. 643–668
6. Conception dynamique de la santé mentale in: A Crianca Portuguesa 19, 1960, pp. 145–167
7. Remarques sur la typologie basée sur la théorie de la désintégration posi- tive in: Annales Médico–Psychologiques 118, 2/1960, pp. 401–406
8. Les dynamismes principaux de la désintégration à niveaux multiples in: An- nales Médico–Psychologiques 119, 1/1961, pp. 225–234
9. Le sentiment d’infériorité vis–à–vis de soi–même in: Annales Médico–Psy- chologiques 119, 2/1961, pp. 625–632
10. La désintégration positive: Problèmes choisis in: Conférences de l’Acadé- mie Polonaise des Sciences, Centre Scientifique à Paris, fasc. 48, 1963, pp. 115–122
11. Personnalité, aptitudes remarquables et psychonévroses chez les enfants et chez les adolescents in: Proceedings of the Second European Con- gress of Child Psychiatry, t. 2, Rome 1963, pp. 220–233
12. Principales structures et dynamismes du milieu psychique interne in: A Crianca Portuguesa 21, 1963, pp. 507–535
13. Personnalité, psychonévroses et santé mentale d’après la théorie de la désintégration positive in: Conférences de l’Académie Polonaise des Sciences, Centre Scientifique à Paris, fasc. 57, 1965, pp. 82–94
14. Psychothérapie des névroses et des psychonévroses in: Conférences de l’Académie Polonaise des Sciences, Centre Scientifique à Paris, fasc. 60, 1965, pp. 3–14
15. L’instinct de la mort d’après la théorie de la désintégration positive in: Conférences de l’Académie Polonaise de Sciences, Centre Scientifique à Paris, fasc. 60, 1965, pp. 15–22
16. Prophylaxie des névroses infantiles ou prophylaxie par les névroses in- fantiles? in: Proceedings of the Fourth World Congress of Psychiatry, Madrid 1966, pp. 127–130
17. La décompensation des structures psychonévrotiques in: Annales Médico–Psychologiques, 125, 2/1967, pp. 475–482
18. Le milieu psychique interne in: Annales Médico–Psychologiques 126, 2/ 1968, pp. 457–485
19. [avec M. Piechowski], Les émotions supérieures et l’objectivité d’évalu- ation in: Annales Médico–Psychologiques 127, 2/1969, pp. 589–613
20. Dépatologisation des certains dynamismes dits pathologiques in: Comptes Rendus de la Ière Conférence Internationale sur la Théorie de la Dés- intégration Positive (août 1970), Québec 1972
21. Introduction générale à la théorie de la désintégration positive, Editions Saint–Yves, Québec 1972
22. La croissance mentale par la désintégration positive, Editions Saint–Yves, Québec 1972
23. La psychonévrose n’est pas une maladie, Editions Saint–Yves, Quebec 1972
24. Les dynamismes des concepts, Editions Saint–Yves, Québec 1972
25. [avec L. Granger & al.], Psychothérapies actuelles, Editions Saint–Yves, Québec 1977
26. [avec L. Granger & al.], S’il y a un toxicomane dans votre famille, Edi- tions Saint–Yves, Québec 1977
traduit par Robert Zaborowski
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Artykuł ukazał się w czasopiśmie Organon Nr 31 (2002). Opracowanie zostało zatwierdzone do wygłoszenia podczas Międzynarodowego Kongresu Filozoficznego w Istambule. Przedruk za zgodą autora.